4ème et dernière partie
En dépit des défis politiques et législatifs à relever pour soutenir le commerce électronique sur le continent, le jeune marché africain du commerce électronique s'avère assez résistant et montre des signes prometteurs, même au milieu de l'actuelle pandémie du coronavirus.
Le Covid-19, une prise de conscience accrue des opportunités offertes par l'économie numérique
Ainsi, on a constaté une augmentation de l'utilisation des solutions numériques en Afrique – et ce d'abord pour soutenir les efforts de lutte contre le virus. À travers l'Afrique, les scientifiques ont ainsi produit des kits de test Covid-19, des équipements de protection individuelle imprimés en 3D, des plateformes d'intelligence artificielle (IA) et des respirateurs à faible coût.
Au Nigeria, une start-up du secteur de la santé a mis au point un outil de triage Covid-19 - une plateforme en ligne permettant aux utilisateurs d'évaluer eux-mêmes leurs chances d'avoir le virus. En Tunisie, l'Institut national des sciences appliquées a mis au point une plateforme d'IA qui analyse les radiographies pulmonaires téléchargées sur Internet et détecte si un individu est porteur ou non de coronavirus. Le Kenya a mis en place l'impression en 3D des EPI (écrans faciaux en plastique) et des prototypes de respirateurs en utilisant des logiciels libres développés en Suède. En Afrique du Sud, les imprimantes 3D ont permis de concevoir et de produire plus de 100 masques par jour pour une utilisation dans les hôpitaux.
Ces solutions technologiques peuvent renforcer les infrastructures de santé existantes en apportant aux patients des soins de santé immédiats et continus grâce à des solutions abordables telles que la télésanté et la télémédecine, ainsi permettant l'inclusion des soins de santé.
D'autre part, en termes de situation commerciale générale, les plateformes de commerce électronique telles que Jumia, l'un des plus grands acteurs du continent, touchent davantage de personnes à travers l'Afrique, y compris dans les zones reculées, tandis que les pharmacies en ligne, les détaillants en ligne et les entreprises de streaming font tous du commerce solide face à la pandémie. Le M-Pesa de Safaricom était déjà un leader sur le marché de l'argent mobile au Kenya et il a révélé aujourd'hui toute sa valeur alors que les consommateurs sont encouragés à se tourner vers les transactions sans espèces. Sur la lignée de M-Pesa, PesaPal permet aux consommateurs africains de se procurer des portefeuilles électroniques et d'effectuer des paiements en ligne. D'autres, tels que WeCashUp et OuedKniss, assurent également une solide base pour les paiements sur les plateformes de commerce électronique du continent.
Afin de soutenir davantage les différentes solutions sur le continent, la Commission de l'Union Africaine (CUA) a formulé un plan d'urgence numérique pour soutenir les efforts de lutte contre la pandémie en Afrique, accroître la résilience et soutenir la reprise post-pandémique, qui a été approuvé par les ministres africains des TICs plus tôt en mai 2020. Le plan d'action d'urgence est destiné à accroître la résilience des pays africains et à assurer un chemin de reprise après la pandémie en utilisant les technologies et les solutions numériques.
À date, le Centre du commerce international estime qu'il y a eu 630 transactions électroniques entre entreprises et clients (B2C) en Afrique en 2020. L'Africa Marketplace Explorer du CCI montre que seulement 1% des places de marché du commerce électronique en Afrique sont responsables de 60% du trafic sur l'ensemble du continent. Et seuls 11% des sites web des places de marché permettent des transactions financières. Tous les autres sont des sites de petites annonces avec des ventes réalisées hors ligne, ce qui limite les possibilités de ventes internationales. Il s'agit d'un point important, en particulier pour les PME qui souhaitent pénétrer les marchés internationaux, car elles doivent s'assurer qu'elles utilisent des solutions de paiement sûres pour leurs ventes en ligne.
Une relation symbiotique entre le commerce électronique et la ZLECA
Le paysage du commerce électronique a également vu l'arrivée de nouveaux acteurs sur le continent. Après Alibaba au Rwanda, Facebook au Nigeria et Google en Afrique du Sud, plusieurs autres méga entreprises mettent le pied sur le marché africain, très probablement en raison du signal lancé par l’avènement d'un marché intégré via la ZLECA.
En effet, l'activité des entreprises africaines de commerce électronique (même face à la pandémie) met en évidence la relation symbiotique que le commerce électronique et la ZLECA sont susceptibles d'avoir en ce sens : le commerce électronique peut aider à réaliser les objectifs de la ZLECA et, à son tour, la ZLECA peut offrir des possibilités illimitées au commerce électronique de prospérer sur le continent. La ZLECA présente une formidable opportunité pour le développement des chaînes de valeur régionales et le passage des économies africaines à l'industrialisation. Le commerce électronique et le commerce numérique ont un rôle clé à jouer dans cette évolution vers la production et le commerce de produits finis et de services à plus forte intensité de connaissances sur le continent. Les possibilités de numérisation et de commerce intra-africain offertes par la crise actuelle, en raison de la dépendance accrue à l'égard des services et des transactions en ligne ainsi que des chaînes d'approvisionnement locales et continentales, ont été mises en évidence de manière très nette.
Deux instruments peuvent permettre à l'Afrique de développer ses capacités humaines, technologiques et commerciales en matière de commerce électronique
Les innovations en matière de TIC et la numérisation des activités économiques transforment le commerce et d'autres aspects sociaux et économiques de la vie à un rythme incroyable, offrant de nouvelles opportunités et ouvrant la porte à plusieurs risques et défis. Pour tirer parti de ces opportunités, l'Afrique dispose désormais de deux instruments qui peuvent lui permettre de commencer à développer ses capacités humaines, technologiques et commerciales en matière de commerce électronique : la ZLECA (Zone de Libre-Échange Continental Africaine) et le DTS (Digital Transformation Strategy - Stratégie de transformation digitale).
Le ZLECA permet à l'Afrique d'éliminer progressivement les droits d'importation et autres charges sur le commerce des marchandises. En ce qui concerne le commerce des services, les pays peuvent progressivement libéraliser ce commerce en éliminant les obstacles au commerce des services, le premier cycle de négociations incluant la libéralisation des services de communication. La ZLECA fournit également à l'Afrique une voix plus forte pour négocier en tant que bloc puissant par rapport aux autres pays et régions.
La DTS quant à elle donne aux pays africains le choix de leur propre voie numérique vers le développement socio-économique.
« L'Afrique doit décider si elle sera à la hauteur de la situation »
L'Afrique a montré que malgré les défis sanitaires et économiques de Covid-19, elle a pu utiliser les solutions numériques disponibles pour atténuer les effets de la pandémie. Ce que les pays africains doivent faire maintenant, c'est prendre les décisions qui garantissent la révision des anciennes règles et législations pour permettre la mise en œuvre permanente des technologies qui se sont avérées efficaces pendant la crise, par exemple, dans le domaine de l'apprentissage à distance, de la télémédecine et du télétravail. En effet, tout au long de cette période, il est apparu clairement aux pays africains qu'ils avaient besoin d'un accès plus large, plus rapide et moins cher aux connexions internet, ce qui permettra d'utiliser la technologie numérique pour relever les défis et stimuler l'innovation au profit de leurs populations. L'Afrique doit décider si elle sera à la hauteur de la situation.
Fin.
Tribune (en 4 épisodes) écrite par Beatrice CHAYTOR, Experte Senior - Commerce des Services, au sein de la Commission de l'Union Africaine.