Comment observez-vous l'évolution du secteur de l'e-commerce en Afrique ?
En termes d'évolution, le développement de l'e-commerce dépend d'un certain nombre de facteurs. Les principaux : la connectivité, tout ce qui est infrastructure ; deuxièmement, le cadre réglementaire, donc la réglementation par rapport au développement et à l'usage de l'e-commerce ; troisièmement, le paiement électronique, un des leviers pour le développement de l'e-commerce. Ce sont les trois facteurs principaux. Et j’ajouterai un quatrième, également important, le développement des différentes applications, contenus et marketplaces.
Si l'on reprend chacun de vos 4 facteurs, dans le détail, quelles évolutions, quelles failles également, dans ce contexte de crise Covid-19 qui a, semble-t-il, eu un effet d'accélérateur…
Si l'on observe les 4 volets, il y a évidemment des points forts et des points faibles. En commençant par internet. Comme vous le savez, il y a des disparités sur le continent, il n'y a pas une seule Afrique, et en termes de couverture, les taux diffèrent d'une région à l'autre.
Ceci, dit la couverture internet évolue très rapidement mais aussi au niveau des taux de pénétration des smartphones. Aujourd'hui, l'accès à internet se fait de plus en plus à partir des smartphones et de moins en moins via les PC. C'est un facteur clé. Ce taux gagne chaque année 10 à 20% de points selon les pays. Le smartphone est donc en train de se démocratiser, les prix sont de plus en plus bas, on en trouve même à moins de 20$. C'est un véritable levier pour l'e-commerce et de moins en moins un frein.
Deuxièmement, le cadre règlementaire, relativement important, même si là aussi on a des différences entre les pays. Globalement le cadre règlementaire s'installe et se développe. Il y a encore un domaine, le mobile money, où certains pays n'ont toujours pas de cadre règlementaire clair, ce qui permet paradoxalement de développer le mobile commerce. Alors que dans d'autres pays où le cadre existe, il n'est pas toujours à jour, parfois archaïque, et a besoin d'être adapté en fonction de l'évolution du marché et des technologies. Donc sur le plan du cadre réglementaire, il y a encore beaucoup de faiblesses. Sans généraliser, parce cela dépend du contexte de chacun des pays. Par exemple, au niveau du Kenya c'est bien développé, l'Afrique du nord en revanche, est moins avancée par rapport à l'Afrique subsaharienne.
Le troisième point, le paiement digital, est un élément clé. Si on observe l'e-commerce en Afrique, il fonctionne selon le concept de cash on delivry. D'abord parce que les processus de livraison, via les services postaux notamment, ne sont pas fiables. Il y a un problème de confiance, les acteurs de l'e-commerce mettent donc en place leur propre service logistique pour livrer aux consommateurs. Pour la majorité des utilisateurs, ce qui est le cas de Jumia, et les autres acteurs également, le paiement se fait à la livraison. Une autre raison à cela est le problème de localisation et la difficulté d'identifier les adresses postales. De même, les paiements via cartes bancaires sont très faibles vu que les taux de bancarisation sont encore très faibles. L'alternative, pour dépasser cette problématique, est le paiement via mobile qui peut être un véritable catalyseur. La solution choisie par les principaux acteurs de l'e-commerce qui permet d'avoir une couverture beaucoup plus large : aujourd'hui, un certain nombre de régulateurs financiers, les banques centrales entre autres, sont en train de développer l'interopérabilité. On peut payer avec n'importe quel téléphone associé à n'importe quel opérateur télécom d'une manière transparente en s'appuyant sur un « switch » qui permet l'interopérabilité des paiements via le téléphone mobile. Un élément clé pas encore au point mais qui est un facteur clé du développement de l'e-commerce en Afrique.
Le quatrième volet est le développement des applications et des contenus au sein de marketplaces. Logique similaire aux habitudes d'achats « physiques » : on préfère aller au supermarché où l’on peut tout trouver à un prix intéressant, plutôt que chez un épicier où les produits sont limités et à prix plus élevés. C'est le même principe. Aujourd'hui, il y a un certain nombre d'acteurs de l'e-commerce qui sont des « petites boutiques » et on a besoin de développer ces marketplaces, pour fédérer un maximum d'acteurs de l'e-commerce dans une logique de supermarché digital. L'État peut jouer ce rôle fédérateur en développant un cadre incitatif pour développer ces marketplaces. Deuxième élément clé, développer des marketplaces au niveau régional pour avoir un effet de masse et avoir une taille critique. On connait encore beaucoup de contraintes de déplacement des produits et services entre pays qu'ils soient physiques ou digitaux. Cette notion de marketplace élargie est à dimension régionale est importante et va permettre de stimuler toute l'industrie de l'e-commerce.
Il y a d'autres éléments, dont la Covid-19 effectivement. Un véritable accélérateur, qui a fait réfléchir les entreprises pendant cette crise, surtout les petits entrepreneurs, dans un instinct de survie. On a vu que les entreprises déjà préparées à l'e-commerce ont mieux profité et ont su mieux s'adapter à la crise pour se différencier. Pour les autres, il y a eu une prise de conscience et la crise de la Covid-19 a été un véritable accélérateur.
La ZLECAf avance malgré tout, bon gré mal gré dans ce contexte, avec un projet de régulation commune en matière d'e-commerce. Quelles sont vos attentes par rapport à cette régulation sur l'e-commerce ?
Effectivement, la ZLECAf est très importante. Aujourd'hui, elle est encore à une phase initiale : il n'y a pas encore d'implémentation sur le terrain, un certain nombre d'États ont signé leur adhésion mais travaillent aujourd'hui sur des accords opérationnels pour rendre cela réel. La seule exception, c'est l'Afrique de l'Ouest, une région qui a déjà pris de l'avance par rapport à la ZLECAf et où il y a déjà une véritable intégration économique qui a été mise en place. Je prends l'exemple de l'interopérabilité des paiements électroniques qui a été mise en place il y a plusieurs années déjà, via un groupement inter-monétique pour toute l'Afrique de l'Ouest, régit par la Banque centrale d'Afrique de l'Ouest. Ce type d'initiative permet de booster l'intégration régionale. Il faudrait faire la même chose sur les autres régions et intégrer tout cela ensemble. L'Afrique de l'Ouest, en matière d'e-commerce, est un exemple à suivre. Pour être très concret et pragmatique : aujourd'hui la ZLECAf est encore au niveau politique, elle reste à être mise en place sur le terrain et le faire par étape.
La ZLECAf est basée sur le principe du marché économique unique. L'intérêt principal de la ZLECAf est de faire tomber les frontières économiques entre les pays. L'e-commerce s'inscrit totalement dans cela : pour aller vers des tailles critiques, des marchés plus importants, stimuler la concurrence. C'est ce qui va développer l'e-commerce. Je dirai même qu'alors, l'e-commerce sera en plus au service de tous les autres secteurs : agriculture, transport, santé, pharma… Tous vont devoir s'appuyer sur des solutions de type e-commerce pour développer leurs activités. La ZLECAf aura, dans ce sens, un véritable effet de levier.