Le parterre est totalement investi devant la petite scène “AfricaTech”. Ils sont venus nombreux écouter Amadou Coulibaly, ministre ivoirien de la Communication et de l’économie numérique au salon de la Tech parisien Vivatech, le 15 juin. Les chiffres se bousculent pour détailler un écosystème favorable. Le message est clair : la Côte d’Ivoire revient en force. “Notre taux de croissance économique est de 7%, nous avons 75% de jeunes de moins de 35 ans…”, introduit le ministre.
Venus à Paris avec une dizaine de startups vitrine, qui représentent aussi bien l'agritech, la fintech, l'e-santé ou encore l’éco-écologie, les représentants du pays n'ont pas fait les choses à moitié. “Nous avons mis en place un Comité nationale de digitalisation (CNDigit) en septembre 2022 sous l’autorité du premier ministre”, dédié à “promouvoir les acteurs économiques, positionner les concentrateurs majeurs d’innovation, mettre l’accent sur la promotion des startups, et enfin la mise en cohérence et le suivi-évaluation des initiatives de digitalisation de l’Etat”.
Objectif : doubler la contribution du numérique au PIB
Concrètement, il s'agit de doubler la contribution du numérique dans le PIB, estimée à 3% par la banque mondiale, à 6% dès 2025. Avec en ligne de mire, passer à une économie totalement sans papier, en 2030. Un objectif atteignable pour un pays qui ne manque pas d’arguments. Avec 9 millions d’utilisateurs internet, un taux de pénétration à l’abonnement de téléphonie mobile de 168%. Selon le ministre, un ivoirien a souvent plusieurs téléphone, avec autant d'opérateurs différents, ce qui donne un nombre d'abonnées internet mobile de 88%.
Si “l’électricité est à la révolution numérique, ce que le charbon a été à la révolution industrielle, nous sommes bien doté avec 80% contre 60% dans le reste de l’Afrique”. Autant d’arguments pour revendiquer la place de porte d'entrée de l'Afrique de l’ouest au ministre.
En plus de compter sur l’expertise locale, la Côte d’Ivoire s’ouvre également aux compétences extérieures. Joseph-Olivier Biley, CEO de Jool International en est un exemple. Il a quitté la France pour monter sa startup de drones intelligents dans l'agriculture de précision. “Une solution qui permet à Daniel par exemple, d’investir dans l’agriculture en Côte d’Ivoire, tout en surveillant ses plantations de son appartement parisien... Et cela marche. Nous avons même récemment racheté une société française” s’est-il félicité. Ambitieux, il répète vouloir “faire de la Côte d'Ivoire une référence en matière de drone et de gestion intelligente de plantations”.
Alain Capo Chichi, lui aussi est venu voir avant de s’installer définitivement. “Je suis originaire du Bénin, mais c’est grâce à l’écosystème de la Côte d’Ivoire que j’ai pu mener à bien mon projet” témoigne le CEO de Cerco/Open. Pour lancer le premier smartphone avec plus de 50 langues africaines, dont 17 dialectes ivoiriens, intégré via l’IA, il a bénéficié du village de l'innovation technologique de Grand-Bassam (VITIB). Très souvent étouffées par un cadre fiscal contraignant, les Startup peinaient à franchir les premières années de leur vie. En Côte d’Ivoire, le gouvernement a pris les devants en mettant en place en janvier, un dispositif incitatif d’ordre fiscal, douanier et administratif au bénéfice des Startups numériques en vue de favoriser leur développement. Il s’agit précisément d’une “loi portant promotion des startups numériques doté d’un dispositif incitatif constitué, notamment, d’avantages fiscaux et douaniers ainsi que de d’autres mesures administratives, d’aides et de facilitation au bénéfice des startups numériques nationales, depuis la phase de création jusqu’à la phase de développement, quel que soit le secteur d’activité”.
“Booster les jeunes très tôt, dès l’école primaire, pour planter la graine de l'entrepreneuriat tech”
Après la Tunisie, pionnière en 2018, et qui finalise sa Startup act 2, l'État ivoirien annonce à son tour l’élaboration de sa propre loi. En plus de la traditionnelle optimisation fiscale du guichet unique, le cadre juridique prévoit des instances dédiées à l'accompagnement de l'écosystème des startups, la création d’un comité de labellisation, des partenariats public-privé. “Dans tous les axes d’intervention, chaque institution a un rôle à jouer” explique Marina Sauzet, entrepreneur et consultante mise à contribution dans la mise en place de ce schéma. Et de citer le #Ci20, le club des entreprises championnes du pays, organisé sous forme associative baptisée “Côte d’Ivoire Innovation 20”.
Après des générations de jeunes qui rêvaient d’être fonctionnaires et freinés par la crise, le pays cherche résolument à bâtir des générations d'entrepreneurs.. “Nos jeunes ne manquent pas d’idées, mais il faut les booster très tôt, dès l’école primaire, pour planter la graine de l'entrepreneuriat tech” poursuit Marina Sauzet. Avec l’Agence emploi jeune, la construction ou réhabilitation d'infrastructures dédiées, le budget global du programme jeunesse du gouvernement (PJGOUV 2023-2025) est de 1,86 milliard de dollars, (1 118 milliards FCFA).
Relever le défi du financement
Si les idées et les besoins fusent en Côte d’Ivoire, le nœud du problème, comme dans le reste du continent, reste le financement. 73% des startups sont financées en fonds propres. L’état annonce la mise en place d’un fonds d’amorçage, d’une plateforme en ligne pour connecter les startups avec les investisseurs potentiels… Le ministre Amadou Coulibaly, de passage à Paris, a prévu de visiter la célèbre station F, plus grand incubateur du monde lancé en 2017 par Xavier Niel, fondateur de Free. “Nous allons voir de plus près, pour nous inspirer”.
Vers la digitalisation de l’agriculture
Maillon essentiel de l’économie ivoirienne, l’agriculture n’échappe aux mutations que le numérique est en train d’imposer. Les autorités ivoiriennes ont mis sur pied l'École d’agro-technologie, la « Digital Farming School » pour un coût de 3 milliards de Fcfa. Fruit d’une coopération entre la Côte d’Ivoire et OCP Africa, une branche du groupe marocain OCP spécialisé dans la transformation et production de phosphates et dérivés, cette école dont l’ouverture est prévue en 2024, servira à bâtir une nouvelle génération de professionnels de l’agritech qualifiée et outillée, susceptible de contribuer activement à la transformation digitale de l’agriculture africaine, de renforcer le développement de l’industrie de transformation et de moderniser les fermes agricoles. A terme, le pays pourra disposer de suffisamment de ressources humaines avec des solutions innovantes aux problèmes qui se posent à la chaîne de valeur agricole. Dans une approche qui se veut inclusive, l’école sera ouverte aux diplômés et non diplômés passionnés des TIC, dont l’âge varie entre 18 et 35 ans.