La digitalisation des assurances est bel et bien lancée en Afrique. Tel est, en substance, l’un des messages-clés du dernier rapport du cabinet de conseil McKinsey sur l’assurance continentale. Une donne favorable qu’ont encore accélérée la pandémie de Covid-19 et la croissance rapide des InsurTech, ces entreprises technologiques dans le secteur des assurances qui ont flairé le filon d’un marché en plein essor, évalué aujourd’hui à environ 68 milliards de dollars en termes de primes (GWP) sur le continent.
Au Kenya par exemple - un pays engagé depuis octobre dernier dans l’enregistrement biométrique de son système de couverture maladie universelle - la start-up LCT Africa a mis en place une plateforme de saisie de données biométriques qui facilite la gestion des demandes d'assurance maladie. Utilisé par les hôpitaux, le dispositif permet d’authentifier les patients à l'aide de la biométrie des empreintes digitales, ce qui réduit les coûts administratifs. Et plus encore, les risques de fraude. « Un document papier peut facilement être perdu ou égaré, ou se retrouver entre les mains d'une personne qui n'est pas censée avoir accès aux informations privées qu'il contient. C'est le risque que nous essayons d'éviter », explique la directrice des opérations de l'entreprise, Sylvia KANYORO. Au total, plus de 1 500 appareils biométriques LCT ont été distribués à des hôpitaux à travers le pays ; un déploiement qui a permis d'alléger les demandes d'assurance de quelque 26 000 utilisateurs, et ce pour un montant cumulé d'environ 100 millions de shillings (environ 932 000 dollars).
« Mettre à profit la pandémie pour renforcer la stratégie digitale, avec de nouveaux services pour la clientèle »
La même tendance à la digitalisation s’observe aussi au Nigeria. Le géant d’Afrique de l’Ouest (210 millions d’habitants) s’est récemment doté de kits d'enregistrement biométrique mobiles dans le cadre d’une campagne d'enregistrement numérique au régime national d'assurance maladie (NHIS), appelée e-NHIS. Quant au Maghreb, les principaux acteurs de l’assurance ont, là aussi, poussé à davantage de formules digitales. En Algérie, où le secteur a été particulièrement impacté par la pandémie de Covid-19 de manière générale (chiffre d’affaires en baisse de 70% en 2020), les acteurs locaux se sont ainsi résolument orientés vers les solutions numériques, à l’image de l’assureur Macir Vie SPA, qui a « mis à profit cette période de pandémie pour renforcer sa stratégie digitale, avec de nouveaux services pour la clientèle », confirme le PDG de l’entreprise, Mohamed Hakim SOUFI. Hassen KHELIFATI, vice-président de l’Union algérienne des sociétés d'Assurance et de Réassurance (UAR) et patron de la compagnie Alliance Assurances, abonde dans le même sens lorsqu’il souligne que les acteurs algériens de l’assurance sont en train de « muter, lentement, mais sûrement », vers « l’agence numérique ».
Dans tous les cas, la digitalisation en cours des services d’assurance en Afrique devrait contribuer à soutenir la croissance du secteur, estiment les auteurs du rapport McKinsey, pour qui « l'Afrique devrait figurer parmi les "régions chaudes" de l'assurance et connaître une croissance de 8% par an [au cours des cinq prochaines années (2020-2025)], ce qui en [ferait] la deuxième région à la croissance la plus rapide après l'Amérique latine ».
« Davantage d'assurances traditionnelles acquièrent ou s'associent à des start-up pour tirer parti de leur l'expertise »
Le succès croissant des outils numériques dans l’assurance africaine doit sans doute beaucoup aussi au contexte local. La majorité des assureurs africains s’accorde ainsi à reconnaître que la distribution physique (établissement d’un réseau d’agences en particulier) a longtemps été un obstacle important à la pénétration de l'assurance sur le continent, les coûts associés à cette dernière étant souvent considérés comme prohibitifs au vu de la taille des marchés nationaux. Sur ce point, la technologie a permis de sensiblement réduire les coûts tout en intégrant des segments de population qui étaient jusqu’alors peu accessibles (ruraux, clients non bancarisés…), grâce à de nouveaux canaux (téléphonie mobile, internet…). François JURD de GIRANCOURT, associé de McKinsey, qui dirige le pôle Institutions financières du cabinet pour l'Afrique depuis Casablanca, note pour sa part « une augmentation du nombre de compagnies d'assurance traditionnelles qui acquièrent ou s'associent à des start-up pour tirer parti de [leur] l'expertise ». Une tendance qui « devrait s'accélérer, avec des pays africains qui pourraient devancer dans certains cas les marchés plus développés », pronostique le consultant.
La déréglementation en cours du marché, plus encline à favoriser l’innovation, a par ailleurs joué en faveur de la digitalisation des services d’assurance, plusieurs régulateurs nationaux actant d’ores et déjà le principe de l'authentification électronique ou bien encore les nouveaux modèles de souscription basés sur l'intelligence artificielle. Une évolution réglementaire qui, bien que non généralisée sur tout le continent - en Algérie, Hassen KHELIFATI se désole ainsi que « la législation en vigueur ne réponde plus aux exigences du moment » - n’en demeure pas moins riche de promesses. L’étude de McKinsey estime quant à elle que ce mouvement « renforcera la confiance des consommateurs et permettra de développer des secteurs d’assurance plus résilients » tout en recommandant aux assureurs de « collaborer avec les gouvernements et les régulateurs pour contribuer à façonner leurs programmes de réformes. »
« Un potentiel de croissance extraordinaire, tant le continent est sous-assuré »
Autant d’évolutions et d’initiatives qui, si menées à leur terme, pourraient libérer « un potentiel de croissance extraordinaire », conjecture Hassen KHELIFATI, « tant le continent est sous-assuré ». Plus circonspect, Mohamed Hakim SOUFI appelle pour sa part à un « renforcement sensible de l’accompagnement par les pouvoirs publics et les institutions financières, […] l’absence d’un tel soutien [restant] le principal obstacle au décollage du secteur ». A bon entendeur…