Depuis sa création en 2012, Jumia est devenue LA plateforme de e-commerce du continent africain. Installée dans 11 pays, l'entreprise revendique un achat ou une « piste » toutes les deux secondes. Le « Amazon Africain » comme on le surnomme, a d'abord connu une ascension fulgurante. Une installation au Nigeria, puis dans une dizaine de pays africains avant de devenir la première entreprise africaine à être introduite à la bourse de New York en avril 2019 – l'adjectif africain fait cependant débat, puisque la start-up a été fondée par des Français à Berlin, et son équipe d'ingénieurs est au Portugal.
Mais depuis, des accusations de fraudes et le départ de plusieurs pays et marchés prometteurs, en l'occurrence le Rwanda, le Cameroun et la Tanzanie, ont terni l'image du groupe. Des départs forcés par un manque de rentabilité. S'il avait fallu 6 ans à Amazon pour être rentable, Jumia ne pense pas l'être avant 2022. Deux investisseurs historiques ont même quitté le navire au cours de l'année, le sud-africain MTN et l'allemand Rocket Internet qui détenait respectivement 18,9 et 9,2% de l'entreprise.
Une logistique compliquée et qui coûte chère
« Afrimarket était en pleine croissance, expliquait Rania BELKAHIA, la fondatrice du dernier concurrent de Jumia au moment de mettre la clé sous la porte en septembre 2019. Mais il lui fallait encore une injection de capitaux importante pour atteindre une taille critique qui nous aurait permis de nous maintenir sur ce marché. » Une taille critique qui permettrait de surpasser les problèmes inhérents au e-commerce en Afrique et de devenir rentable. On peut citer entre autres, une logistique compliquée par manque d'adressage et coûteuse du fait du manque d'infrastructures, un manque de confiance des utilisateurs dans la commande en ligne ou encore de faibles marges.
Aujourd'hui, Jumia dépense plus pour expédier ses produits que ce qu'elle ne gagne en les vendant. Pour diminuer ses dépenses, Jumia développe des points relais avec des partenariats comme avec des stations-service. Un changement dans la méthode de paiement des livraisons lui a aussi permis de sauver 1 million d'euros depuis le mois d'avril. Enfin le groupe a annoncé ouvrir son réseau de logistique à des tiers, qui jusqu'alors ne pouvaient en disposer s'ils n'étaient pas inscrits sur la plateforme. Et Jumia devient de fait, avec ses 300 entreprises de coursiers partenaires et ses 110 000 m² d'entrepôts, l'un des plus grands du secteur sur le continent. Entre septembre 2019 et septembre 2020, l'entreprise a ainsi diminué ses dépenses d'exécution de 20%. Ajouter à cela une diminution de ses dépenses publicitaires, et voilà Jumia qui a réussi à diminuer de 50% ses pertes avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement entre septembre 2019 et septembre 2020.
« La pandémie n'a pas (…) accéléré l'adoption du e-commerce à un niveau panafricain »
Car côté ventes, le temps n'est pas à la fête, avec une chute de près de 18% du chiffre d'affaires sur l'année, « dû à un changement de stratégie », explique l'entreprise. S'il était légitime de penser que la pandémie de Covid-19 aurait pu donner un coup de main inattendu à l'entreprise comme l'annonçaient plusieurs responsables régionaux, les chiffres du troisième trimestre ne confirment pas cette tendance. Le nombre de consommateurs a bien augmenté de 22,8% entre septembre 2019 et septembre 2020, mais le nombre de commandes a lui baissé de 5% pour atteindre 6,6 millions. La firme l'explique par un « impact négatif sur le sentiment des consommateurs », qui s'explique, aussi et sans doute, par une baisse de revenus des consommateurs pendant cette période.
Pour les dirigeants de Jumia, « la pandémie n'a pas drastiquement changé le comportement des consommateurs sur notre plateforme ni accéléré l'adoption du e-commerce à un niveau panafricain. » Un réel coup dur que Jumia compte compenser à grand renfort d'événements comme le Jumia Brands Festival organisé avec le concours de 200 marques internationales pour des prix très bas. En Egypte, les ventes ont bondi de 70% pendant cette période. La plateforme cherche à généraliser ce type d'opération, avec les World Food Day au mois d'octobre ou le Black Friday qui a duré trois semaines en novembre et a été annoncé à grand renfort de publicités. Une méthode également pour fidéliser ses clients.
Pour pallier ces pertes Jumia se diversifie notamment par sa banque mobile JumiaPay, qui est devenue l'un des grands espoirs de la direction ces derniers mois. Une hausse du volume de transaction de 50% pour atteindre 48 millions d'euros est à noter. Un système de jeux vidéo sur smartphones avec un abonnement mensuel a également été lancé il y un mois. Une preuve que le e-commerce ne sera sans doute pas la voie de la rentabilité du groupe… du moins pour le moment.