Vous êtes un pionnier dans la promotion des industries créatives numériques en Afrique. Comment évolue le secteur ?
L'Afrique est une mosaïque culturelle exceptionnelle, encouragée par une population jeune, connectée et en pleine expansion. Avec 54 pays et plus de 3 000 langues, un patrimoine historique, des mythes et légendes insoupçonnés, le paysage socioculturel du continent est incomparablement riche et varié mais totalement méconnu. On est tous capable de citer les héros, personnages des mythologies grecques, romaines, nordiques, égyptiennes, mais sub-africains, c'est très rare.
Pourtant l'Afrique regorge de talents, mais ne les fait pas fructifier suffisamment. Dans le domaine de la communication, des médias et du divertissement, la plupart des experts sont catégoriques : le contenu africain n'a jamais autant suscité de convoitises.
Seulement, le problème avec une grande partie de ce « contenu africain », c'est qu'il n'est pas produit par les Africains. Finalement, alors que le continent devrait occuper une position de vendeur, il se retrouve bien souvent, quand il n'est pas consommateur, simple collaborateur dans la réalisation de ce fameux « contenu africain »
Si nous prenons l'exemple du jeu vidéo, avec environ 400 millions de joueurs sur le continent, sa croissance est exponentielle, portée par le boum du Smartphone. En quatre ans, de 2014 à 2018, elle a progressé de 500% ; alors estimé à 105 millions de dollars, il représente presque 570 millions de dollars aujourd’hui. Il y a dix ans, on comptait les studios sur les doigts d’une main, aujourd’hui j’ai réussi à en référencer environ 200 dans mon travail de cartographie de l'écosystème.
Dans le domaine de l'animation de nombreux studios aux quatre coins du continent voient le jour avec des projets s'inspirant des magies des griots, des mythes, des grands personnages africains.
Les Africains ont aujourd'hui besoin des histoires qui parlent des valeurs africaines, des traditions africaines et des cultures africaines. Les startups et les studios du secteur créatif numérique ont explosé, surfant sur cette demande mais aussi sur un marché naissant du contenu pour les Edtech ludo-éducatives.
Le secteur est effectivement riche en termes de création de valeurs et de d'emploi. Le défi de l'Afrique. Cela dit, pour réellement valoriser ce potentiel, il va falloir attaquer le volet de la formation. C'est votre chantier …
Oui, la formation est le secteur clé de cette industrie, et le trait commun des studios africains qui réussissent dans le jeu vidéo (Leti Arts, Kiroo Games, Weza Interactive, Usiku Games…) dans l'animation (Triggerfish, Lucan, Anthill, Basement CGS3D…), ou les Comics (Africomics, the Comic Republic, Vortex 247…), c'est leur fondateur qui a généralement fait ses études à l'étranger et qui est revenu pour créer son entreprise dans le pays.
Très peu de pays disposent de centres de formation ou d'écoles spécifiques dédiés aux métiers créatifs digitaux. On peut citer notamment l'Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya, l'Éthiopie et la Tunisie.
C'est et ce sera le grand défi pour la réussite de cette industrie créative numérique en Afrique, car rares sont les entreprises à proposer des produits de qualités susceptibles d'être exportés, la plupart des développeurs ayant des formations basiques, acquises sur des tutoriels YouTube, ou dans des MOOC. Or le catalogue des métiers créatifs numériques est très riche, représentant plusieurs centaines de métiers différents et les opportunités d'emplois sont multiples.
En prenant l'exemple de 3D Netinfo basée en Tunisie, premier centre d'Afrique francophone spécialisé dans la formation aux métiers du codage créatif et de la production de l'image de synthèse 3D, nous pouvons dégager un projet pilote qui pourra être dupliqué dans d'autres pays. Et c'est l'objectif que nous poursuivons en créant un réseau africain d'enseignement créatif numérique. Nous espérons être soutenus par un bailleur de fond dans cette phase car nous savons comment amener les jeunes vers l'employabilité et l'entreprenariat.
Concrètement, que préconisez-vous sur ce volet de la formation ?
Je pense sincèrement que le salut viendra par cette étroite coopération, collaboration, entre pays africains. Nous avons mis des années à expérimenter, innover, chercher les meilleures solutions pratiques
Nous avons la chance de collaborer étroitement avec l'Europe et l'Amérique du Nord grâce à de nombreux Alumni de Netinfo, et aux studios étrangers installés en Tunisie. Nos programmes respectent les normes internationales mais sont adaptés aux contextes africains.
Par exemple, nous avons lancé deux projets. L'un avec Autodesk, un logiciel de conception 3D, et huit pays africains dans la formation à la 3D. La 3D, au même titre que l'Intelligence Artificielle (IA), l'Internet of Things (IoT) sera au cœur des technologies du futur dans de multiples secteurs et notamment dans l'industrie 4.0 et l'économie immersive, et l'Afrique ne devra pas rater cette phase cruciale. Aujourd'hui, nous sommes les seuls en Afrique à former aux métiers numériques immersifs de l'industrie 4.0 autour de la 3D, la VR (Réalité Virtuelle) et l'AR (Réalité Augmentée). L'autre projet s'appuie sur Epic Games, un studio de développement et de distribution de jeux vidéo basé aux USA, et 12 pays africains, en créant le premier réseau de formation au GameDev dans l'industrie du jeu vidéo, avec l'ambition d'accompagner nos jeunes vers l'employabilité ou l'entreprenariat. Tous les projets doivent porter sur l'histoire, la culture, les mythes africains, et les sélectionnés présenteront leur travail en mai à un jury international.
La seule limite à cette vision est le financement, c'est le nerf de la guerre. Et notre regret c'est que, malgré notre réussite et notre expertise, il nous est difficile d'être soutenu par des bailleurs de fond, des fondations, les États, car tous sont focalisés sur les autres métiers du numériques en oubliant que les industries créatives numériques sont les industries du futur. Les Nations Unies nous le rappellent en faisant de 2021, l'année internationale de l'Économie Créative.