La nécessité d'une stratégie de protection des données pour les économies et les sociétés africaines se fait de plus en plus pressante. Depuis un certain temps, la numérisation imprègne les sphères sociales, politiques et économiques de la vie, soulevant des questions sur l'utilisation des données, qui ont un impact sur l'écosystème mondial de l'économie numérique. Le groupe le plus évidemment concerné est celui des législateurs, chargés d'inscrire dans la loi les règles de l'économie numérique. Mais pour les utilisateurs de produits numériques également, la protection de leur vie privée et de leurs données semble être une préoccupation assez évidente à prendre à considération. Du reste, il est intéressant de noter que la réponse à la question "pourquoi les entreprises devraient-elles s'en soucier ?" est souvent que la protection des données peut constituer un avantage concurrentiel et un argument de vente décisif auprès des clients et des investisseurs.
La protection effective des données concerne l'écosystème technologique mondial
Toutefois, ce serait une erreur de ne considérer le sujet que sous l'angle d’un bilan purement économique, car le droit à la vie privée et la protection des données sont des garde-fous fondamentaux non seulement de l'économie numérique, mais aussi de la société tout entière.
La législation relève de la responsabilité du gouvernement et les entreprises ne peuvent et ne doivent pas remplir cette fonction. En l'absence de cadres juridiques adéquats, les entreprises peuvent néanmoins procéder à l'évaluation de leurs propres systèmes de protection des données. De ce point de vue, l'autorégulation n'est en aucun cas l'objectif final mais peut en revanche servir de solution temporaire.
Intégrer les préoccupations relatives à la protection des données pourrait par exemple signifier demander "quel est l'impact de nos algorithmes d'apprentissage automatique et sur quelles données sont-ils entraînés ?". Les réponses à ces questions ne sont pas "simplement" des décisions commerciales, mais fondamentalement des décisions sur la vie privée, l'équité, l'inclusion…
Ainsi, le choix qu'ont les entrepreneurs et les entreprises de l'économie numérique naissante n'est que d'aborder explicitement ou implicitement le pouvoir de ces pratiques de données. En d'autres termes, même le fait de ne pas se préoccuper de cette question et de ne pas protéger les données a, en fin de compte, un effet sur les clients, et très probablement de manière préjudiciable. En somme, il ne s'agit pas uniquement de "simples" décisions commerciales, mais bien de choix concernant le type de société dans laquelle nous voulons vivre.
La nécessité d’une politique éclairée par la recherche
Aussi, alors que la technologie numérique joue un rôle de plus en plus important, une politique fondée sur la recherche demeure plus que jamais cruciale pour fixer les conditions sur lesquelles la technologie est intégrée dans la société, et déterminer quel avenir est construit sur cette base. Un rapport récent estime ainsi le potentiel économique de l'économie de l'internet en Afrique à 180 milliards de dollars d'ici 2025 (NDLR : Google et IFC, membre du Groupe de la Banque mondiale). D'un point de vue politique, les technologies numériques constituent la plus récente manifestation de la tradition historique dans laquelle les technologies de la communication jouent un rôle substantiel dans la détermination des détenteurs du pouvoir politique et de la manière dont il est exercé (Srinivasan & Diepeveen, 2019). Par conséquent, en l'absence de garde-fous appropriés, la "révolution numérique", comme certains appellent l'accès croissant à l'internet et l'économie numérique en expansion, recèle des risques politiques tels que l'augmentation des inégalités (Allen, 2021) et la surveillance (Roberts et al., 2021).
Une réglementation claire et applicable des données présente non seulement l'avantage de protéger les droits des individus et des groupes auxquels les données sont liées, mais aussi de fournir un cadre cohérent à l'écosystème technologique, notamment en ce qui concerne les technologies et les modèles commerciaux émergents. À la lumière de ce besoin réglementaire, Digital Africa pose spécifiquement la question suivante : comment concevoir une protection des données centrée sur l'Afrique, dans le contexte de différents régimes politiques coexistants ?
En effet, plusieurs réglementations relatives à la protection des données et à la vie privée, parfois concurrentes, existent déjà sur le continent, formant un "Agenda africain des droits numériques" (Abimbola et al., 2021) qui consiste en un ensemble de "plans stratégiques numériques" (p.4), de "plans de développement nationaux" (p.6), et de "documents, politiques, lois et activités disparates" (p.7). Le ministère mauricien de la Technologie, de la Communication et de l'Innovation a par exemple publié un plan stratégique pour " le gouvernement numérique, l'infrastructure TIC, l'innovation, la gestion des talents et la cybersécurité " (Ministry of Technology, Communication & Innovation, 2018, p.2). Les stratégies numériques telles que celle de l'île Maurice, couvrent des sujets très larges, qui auront un impact significatif sur la politique, l'économie et la société.
Un autre exemple est le cas du Nigeria, où, comme le soulignent les chercheurs Akintola et Akinpelu (2021), la règlementation de 2019 sur la protection des données vise à se conformer aux normes internationales, l'une des raisons étant "d'améliorer la compétitivité des entreprises nigérianes dans le commerce international" (p.308). Pourtant, ce dispositif règlementaire gagnerait à être modifié afin de garantir " des principes de protection des données conformes à ceux contenus dans le règlement sur la protection des données de l'Union africaine et de la CEDEAO " (p.317). La Convention de l'Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données, adoptée en 2014, et la loi sur la protection des données de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, adoptée en 2010, constituent des premiers pas importants vers l'alignement et l'harmonisation au niveau régional, mais doivent encore être largement ratifiées.
Pour la deuxième partie de cette série, nous nous pencherons sur la façon dont la législation sur la protection des données est complexifiée par les différentes compréhensions de l'économie "informelle" et les multiples systèmes d'autorité.
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