Rappelez-nous le concept d’Africa Tech Summit dont l’édition 2022 se tient ces 23 et 24 février à Nairobi.
Africa Tech Summit est une conférence qui rassemble les principaux protagonistes de la scène tech africaine. Lorsque j'ai conçu l'événement en 2016, l’idée était de répondre au besoin des personnes cherchant à élargir leur réseau, mais aussi aux attentes des investisseurs, des start-up, des décideurs politiques… Aujourd’hui, nous en sommes à notre quatrième édition sur le continent, la précédente ayant eu lieu au Rwanda (NDLR, en février 2020).
L’évènement a grandi en même temps que l’écosystème tech panafricain dont il est devenu un baromètre…
En effet, la filière tech africaine a énormément progressé au cours des dernières années, de même que le volume des investissements dans le secteur. L’année dernière, plus de 4 milliards de dollars ont ainsi été investis dans les start-up africaines, ce qui me fait dire que la filière tech continentale s’est beaucoup développée. Mieux, au-delà de la hausse des investissements, nous voyons désormais des entreprises technologiques africaines acquérir d'autres entreprises, et s'implanter sur de nouveaux marchés, en dehors de l'Afrique (Europe de l'Est, Amérique latine, Asie). En clair, nous sommes aujourd’hui dans une ère passionnante pour la tech africaine et Africa Tech Summit contribue à rassembler ces différents acteurs, en les aidant à faire des affaires et à établir des partenariats.
Les investisseurs internationaux seront de fait au rendez-vous de l’Africa Tech Summit. Quelles sont les grandes tendances qui se dégagent en la matière ?
La fintech reste la tête d'affiche en matière d'investissement dans la mesure où elle est indispensable au bon fonctionnement des autres services tech. Sans elle, pas d’infrastructures de paiement et de commerce électronique permettant aux autres secteurs de vendre leurs prestations et d’être payés. Mais il y a par ailleurs beaucoup d'autres segments tech qui résolvent de vrais problèmes, tels que les applications technologiques liées à la santé (e-santé) ou l'éducation (Edtech), qui ont vu leur usage fortement progresser pendant la crise sanitaire née du Covid.
« La pandémie a contribué à accélérer la conclusion de nombre de deals »
De ce point de vue, la pandémie a contribué à accélérer la conclusion de nombre de deals : les investisseurs ne pouvant plus aller à Nairobi, Lagos ou Accra pour rencontrer leurs partenaires vendeurs, bien des opérations ont été finalisées via des appels Zoom. Autre constat, le développement des consortiums d’investisseurs. Ces structures réunissent parfois 100 à 200 membres pouvant chacun mettre 5 000 à 10 000 dollars, ce qui permet en définitive de conclure des opérations syndiquées plus importantes. La crise a toutefois engendré son lot de victimes, beaucoup de start-up échouant notamment parce que plus personne n'utilisait leurs services en période de confinement. D’autres à l’inverse, on su « pivoter » et se réinventer, à l’instar de la société SafeBoda en Ouganda, passée d’une compagnie de moto-taxis à une plateforme plus large de services associés au transport et à la livraison.
Justement, la crise sanitaire a permis de mettre en lumière l’innovation « made in Africa » et la résilience de ces start-up. Comment faire en sorte que celles-ci impactent davantage l’économie réelle ?
Le plus grand défi à l’heure actuelle est lié à l’emploi, et ce sur tout le continent. S’agissant des créations d’emplois, il y a tout lieu de penser que certains postes de travail seront plus ou moins affectés par de nouveaux développements tels que l'automatisation et l’intelligence artificielle. Néanmoins, de nouvelles opportunités liées à la technologie pourraient aussi apparaître. Regardez par exemple les petites et moyennes entreprises de n'importe quelle ville d'Afrique, qui vendent des produits locaux et des biens de consommation courante (Fast-Moving Consumer Goods, FMCG) : la technologie déployée par les start-up de e-commerce et de logistique- qui offrent par ailleurs souvent des options d’achat à crédit- permet à ces PME d’optimiser leurs achats/ventes de stock, ce qui permet au final un accroissement de l’activité, et donc des emplois.
« Il y a aujourd’hui un immense besoin pour les compétences liées aux technologies »
Par ailleurs, et c’est un sujet dont vous entendrez beaucoup parler lors de l’Africa Tech Summit à Nairobi, il y a aujourd’hui un immense besoin pour les compétences liées aux technologies. L’écosystème tech connaît une croissance exponentielle chaque année en Afrique mais dans le même temps, il y a une pénurie totale de talents. Je ne dis pas que chaque enfant devrait devenir un développeur, mais si nous observons par exemple l'industrie créative, celle-ci est d’ores et déjà très importante en termes de contenu musical, de jeux… Il y a donc un besoin de spécialistes en animation, de personnes qui puissent créer et mettre en forme ces idées.
Certes, la technologie n’est pas la solution à tous nos problèmes et produire des milliers de développeurs d'applications ne va peut-être pas créer les gains d'efficacité dont nous avons besoin dans des économies nationales souvent centrées sur l’agriculture. Il n’en demeure pas moins que cette technologie, une fois adaptée, peut aider l’agriculteur à augmenter ses rendements, à mieux comprendre ses intrants et ses extrants, conduisant ainsi à un vrai changement sur le terrain. De même, de plus en plus de start-up actives dans la fintech fournissent des prêts aux agriculteurs, ce qui leur permet de sécuriser des flux de trésorerie, indispensables à l’activité des économies africaines.
« Face au défi majeur de la durabilité alimentaire, je pense que nous allons voir, dans les quatre ou cinq prochaines années, une vague d'entreprises africaines spécialisées dans la Food tech »
Dans un autre registre, face au défi majeur de la durabilité alimentaire, je pense que nous allons également voir, dans les quatre ou cinq prochaines années, une vague d'entreprises africaines spécialisées dans la « Food tech » commencer à proposer des produits et services durables, capables de nourrir le continent (et pourquoi pas le reste du monde), à l’image de cette entreprise au Nigeria qui met en place une usine de transformation de tomates. Ou encore de ces filles en Afrique du Sud, qui élèvent des larves de mouches, alimentées à bases de déchets organiques, afin de les utiliser comme nourriture pour les animaux.
Autre conséquence liée à la pandémie, le développement des événements digitalisés (e-events). Existe t’il à ce niveau un marché en Afrique ?
Oui, les événements en ligne étaient évidemment nécessaires pendant la pandémie et ils sont là pour durer. Cela dit, Africa Tech Summit est principalement construit sur le réseautage des personnes, les interactions directes. La valeur fondamentale de notre événement est de mettre en relation les gens pour faire des affaires et ce genre de choses requiert forcément une dose de nuances dans les rencontres entre individus : il faut s'asseoir et prendre un café avec vos interlocuteurs, les regarder, observer leur langage corporel. Autant de choses que vous ne pouvez faire que lors d’événements « réels ».
« Lassés des appels vidéo Zoom, les gens sont très heureux d'être de retour et d'avoir un vrai contact, en face à face »
À titre d’exemple, nous avons organisé, en décembre dernier, un sommet Africa Tech à la bourse de Londres. C'était le premier événement en présentiel que nous organisions depuis notre précédent sommet au Rwanda, en février 2020, et l'énergie dans la salle ne ressemblait à rien de ce que j'avais vécu jusqu’alors. Lassés des appels vidéo Zoom, les gens étaient très heureux d'être « de retour » et d'avoir un vrai contact, en face à face. Dans un autre registre, si vous regardez le metaverse en ce moment, il y a certainement des personnes qui ambitionnent d'y organiser des événements en ligne et autres manifestations virtuelles de ce genre. Dans un tel contexte, où tout reste imprévisible, il sera donc opportun de voir ce qui s'y passe également. C'est clairement une période excitante.