Vous l’avez certainement constaté, si vous suivez l’actualité du numérique depuis un an, le mot « metaverse » est à la mode, amplifié par le changement de nom de Facebook en Meta et l’emballement médiatique qui s’en est suivi… Pour le moment, ce metaverse- contraction de « méta-univers », c’est-à-dire un univers d’univers- désigne une vision de ce que pourrait être l'avenir, un monde numérique où vous pourriez mener une vie parallèle, sans sortir de chez vous grâce à votre avatar.Mais pour les technophiles, les geeks et les géants mondiaux de la tech, le metaverse correspond à une révolution en marche. Il est l'évolution naturelle d'Internet. Une tendance poussée tant par la convergence de plusieurs technologies- les progrès de l’intelligence artificielle(IA), les réseaux 5G, la 3D, la réalité augmentée (l’AR), la réalité virtuelle (VR), la blockchain et les NFT (acronyme de Non-FungibleTokens, ou jetons non fongibles, en français)- que par le mouvement accéléré de digitalisation constaté après la pandémie du Covid 19.
Or, dans ce metaverse en devenir, pourrait-on voir émerger à terme un ou des univers africains ?Telle est la question, car« si l’Afrique, [qui a] raté le train de la révolution industrielle, n’a pas manqué celle de la révolution numérique », pour paraphraser le président ivoirien Alassane Ouattara, elle risque certainement de manquer la prochaine révolution, l’industrie 4.0 et l’économie immersive. De ce point de vue, nous n’avons pas de grands groupes comme sur les autres continents en capacité d’être des locomotives dans l’Intelligence Artificelle (IA), la réalité virtuelle (VR), la réalité augmentée (AR) ou des États susceptibles d’impulser stratégies et plans d’actions sur le long terme. Dans ces conditions, l’Afrique devra-t-elle se contenter d’être consommatrice de technologies conçues ailleurs ? Doit-on se résigner à ne pas prendre part à cette compétition, qui façonne déjà le monde de demain ?
L’Afrique face au metaverse
À l’aune de ce défi de taille, le continent peut néanmoins compter sur un atout majeur : sa jeunesse, décomplexée, « digital native », connectée au monde et qui a su prouver sa réactivité, sa créativité, son agilité, pour faire face aux enjeux du Covid-19, grâce au numérique. Cependant, il faudra plus qu'une jeunesse technophile et inventive pour relever ce pari. Car de nombreux défis pèsent sur le continent et constituent un véritable obstacle à son émergence sur la scène numérique. Ainsi, bien que le nombre de raccordements au haut débit sur le continent ait franchi la barre des 400 millions en 2018, le taux de pénétration de la 3G et de la 4G n'atteint toujours que 25 % en moyenne aujourd’hui, représentant de facto un « frein » au développement de la filière. Résultat, l'économie numérique continue d’être dominée par les Etats-Unis et la Chine, qui représentent à eux seuls près de 90% du numérique à l'échelle mondiale. En comparaison, l'Afrique ne représente que 1,3% et l'Europe 3,7%.
La solution viendra certainement des pouvoirs publics, des institutions d’enseignement, des associations, de la société civile et des start-up du privé. Cette communauté, en collaborant ensemble au niveau africain, permettra de renforcer la recherche et le développement, mais aussi de favoriser l’expérimentation et la production de contenus pour construire ce projet. Car un metaverse se nourrit, certes de technologie, mais plus encore de contenus. Or, l’Afrique regorge de potentiel en la matière. Le continent est une mosaïque culturelle, avec 54 pays et plus de 3 000 langues et cultures différentes, rendant son paysage socio-culturel incomparablement riche et varié. De quoi sans doute expliquer l’actuelle révolution culturelle africaine à travers la mode, le cinéma, les arts visuels, les sites culturels, les médias, le design, les jeux vidéo, l’animation, les Comics, le divertissement, la musique, la littérature. Les talents et la créativité sont là.
La créativité, matrice du metaverse africain
La pandémie a offert l’opportunité aux pays africains d’innover et de reconstruire leur économie par le numérique. Mais ils ne doivent pas se contenter de la réparer, mais bien de la recréer, autour de la transformation numérique. Alors, pourquoi ne pas s’orienter vers les industries culturelles et créatives (ICC) numérique, et donc intégrer le metaverse ?
Sur ce point, les créateurs africains seront essentiels car ils font figure de défricheurs, de pionniers. Leur créativité et leurs compétences seront le moteur de ces expériences immersives, qui leur permettront par ailleurs de développer de nouvelles sources de revenus, à travers le metaverse, et ce grâce aux NFT et aux cryptomonnaies. Surfant sur cette nouvelle tendance, l’artiste nigériane Oyindamola Oyekemi OYEWUMI a par exemple vendu son premier NFT l’an dernier à plusieurs milliers de dollars tandis que son compatriote OSINACHI a cédé « Devenir Sochukwuma » – un tableau représentant une danseuse noire enveloppée dans un tutu tourbillonnant sur un écran d’ordinateur – pour 80 000 $ sur le marché du crypto-art, en avril dernier. Le Nigéria est devenu ainsi le leader du crypto-art en Afrique et le troisième utilisateur de monnaies virtuelles au monde, après les Etats-Unis et la Russie, avec plus de 400 millions de dollars de cryptomonnaies échangés en 2020, selon une étude du cabinet Statista.
Partout en Afrique, les créateurs d’art profitent de ce nouveau marché virtuel pour donner de la visibilité à leurs productions, en passant notamment par des plateformes comme Opensea, Foundation, Rarible, Super Rare, Mintable, Wax, Muda, AjeVerse et bien d'autres. Invictus Capital, par le biais du Invictus NFT Lab, a dévoilé sa première collection NFT, Out of Africa Collection, qui vise à lancer de nombreux artistes numériques contemporains sur le marché mondial. Africarare, le premier metaverse sud-africain, a lancé et vendu sa première collection d'art africain en octobre 2021. La première collection NFT de 52 pièces numériques de l'artiste Norman CATHERINE a rapporté 53 000 $ US.Ces artistes passionnés créent des communautés telles que Africa NFT Community, Black NFT Art, Network of African NFT Artists, Afro Future DAO, Kenyan NFT Club, Nigeria NFT Community, Zulu Inu afin de sensibiliser, éduquer et informer. Ces communautés interagissent, servent d’espace de promotion, d’interconnexion et de collaboration.On y partage des idées, des ressources, des co-créations et des défis.On y organise des événements en ligne et hybrides, axés sur la narration, la promotion de l'art et l'aide aux artistes émergents.Mais au-delà, les NFT donnent une opportunité unique aux artistes et créateurs africains de trouver une juste place dans le monde de l’art en général, la possibilité de faire émerger un marché radicalement nouveau. Une économie de la création enfin au service des artistes africains.
L’héritage culturel, première étape d’un metaverse africain ?
Alors, comment être partie prenante dans la construction de ce metaverse, sans faire fi des obstacles ? Dans le metaverse, le contenu digital - jeu vidéo, animation, comics, réalité virtuelle(VR)& réalité augmentée (AR), tourisme virtuel - représente une vitrine de choix pour ouvrir l’Afrique au monde avec ses mythes, son patrimoine et son histoire. C’est un élément fondamental du soft power pour changer la vision parfois négative que le reste du monde a du continent.
Pour se développer, l’Afrique doit s’approprier ce nouvel outil numérique pour promouvoir sa culture, créer un storytelling identitaire et maîtriser ainsi son récit à l’heure de la guerre globale de la culture et des médias. C’est dans cette optique que Meta (NDLR, anciennement Facebook) et Africa No Filter, une organisation ayant pour but le changement du narratif sur l’Afrique, ont annoncé un partenariat pour lancer le programme « Future Africa: Telling Stories, Building Worlds(l’Afrique du futur : raconter des histoires, construire des mondes, en français) », qui vise à stimuler l’utilisation de la réalité virtuelle dans la narration en Afrique.EON Reality, le leader mondial du transfert de connaissances et de compétences basées sur la réalité augmentée et virtuelle pour l'industrie et l'éducation a pour sa part annoncé un nouveau partenariat avec l’Éthiopie, nation riche en culture et en histoire, pour créer un centre metaverse de connaissances pour les étudiants, les enseignants et les entrepreneurs.
L'ONG Africa 2.0 s’est quant à elle associée avec ComputeCoin pour surmonter les obstacles informatiques auxquels sont confrontés les développeurs et les utilisateurs finaux du continent en fournissant une puissance de calcul abordable pour la production de contenu. Car l’enjeu est là : si l’on veut présenter les innovations du futur, démontrer le potentiel créatif et raconter des histoires positives sur l’Afrique, ce metaverse africain devra être alimenté par la créativité de millions de graphistes, ingénieurs, chercheurs, artistes et joueurs du continent. Pour cela, la formation à ces métiers créatifs numériques sera primordiale, à l’image des initiatives portées par 3D Netinfo, centre africain spécialisé dans la formation aux métiers du codage créatif et dans la production d’images de synthèse 3D. Déterminé à accompagner l’émergence de développeurs africains, cette structure construit aujourd’hui sur le continent un réseau de formation aux métiers nécessaires au metaverse avec des programmes tels que AfricGameDev (200 jeunes de 10 pays formés), et bientôt l’African Metaverse Challenge, soutenu par Epic Games, Autodesk et NVidia.
*Mohamed Zoghlami est consultant International en Stratégie & Développement – Spécialiste des industries créatives en Afrique – Co-fondateur d’Afric’Up et d’Africa in Colors