Après avoir regardé avec suspicion l’ascension des cryptomonnaies (bitcoin, ethereum…), les pays africains sont désormais de plus en plus nombreux à envisager l’introduction de leur propre monnaie digitale, des devises numériques dénommées « monnaies digitales de banque centrale » (MDBC). Après le Maroc, l’Egypte, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Nigeria, c’est le projet ghanéen de e-cédi (monnaie numérique répliquant la monnaie nationale, le cédi) qui a ainsi été confirmé en août pour un lancement prévu en septembre dernier. Du reste, ce mouvement en faveur des MDBC est aussi à l’œuvre dans le reste du monde : la Banque centrale européenne tout autant que la Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre planchent depuis 2020 sur la question, dans le sillage de la Chine qui expérimente avec succès un « e-yuan » dans plusieurs grandes villes du pays (Shenzhen, Suzhou, Xiong'an et Chengdu).
Un nouveau chapitre de la révolution numérique
Prenant acte de cette dynamique, les acteurs de la finance africaine semblent décidés à embrasser ce nouveau chapitre de la révolution numérique. Lors d’un récent atelier virtuel co-organisé par la Société Internationale Islamique de Financement du Commerce (ITFC) et la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), Justine BEUGRE, conseillère du directeur général du Centre de formation et d’Etudes bancaires de l’Afrique de l’Ouest (COFEB), a ainsi rappelé que «comme les principales banques centrales, [son] institut émetteur [s’intéressait] aux développements numériques à prendre en compte dans le cadre de l’émission monétaire ». Plus direct, le directeur général d’exploitation de l’ITFC, Nazeem NOORDALI, qui participait également à l’atelier précité, a pour sa part souligné que« la quatrième révolution industrielle [allait] changer le système monétaire traditionnel » et que « la technologie [était] déjà en train de remodeler la manière dont le commerce est mené, créant des opportunités pour une plus grande efficacité et un plus grand impact».
Atouts des monnaies digitales
Les MDBC ont de fait bien des atouts à faire valoir, le premier d’entre eux étant l’inclusion financière, que ces monnaies digitales pourraient favoriser, en « [facilitant] les paiements sans compte bancaire, sans contrat ni smartphone […] » comme l’a rappelé le Dr Ernest ADDISON, gouverneur de la Banque centrale du Ghana, au moment de la conférence de presse actant l’introduction du e-cedi. Plus faciles à tracer que les billets, ces devises numériques pourraient en outre simplifier la lutte contre la fraude et le blanchiment. Autre avantage attendu, la réduction des frais de transfert d’argent, les monnaies digitales devant notamment permettre aux banques des pays en développement, « [d’]améliorer leur liquidité, [d’]augmenter l’efficacité des transferts intérieurs [et de] relever le défi du coût élevé des transferts internationaux », a de son côté plaidé le gouverneur adjoint de la banque centrale du Nigeria, Folashodun SHONUBI, lors d’un webinaire consacré au lancement du e-naira, organisé début septembre à Lagos.
La Banque centrale d’Afrique du Sud participe quant à elle déjà à un projet d’expérimentation de plateformes internationales de paiement utilisant des MDBC - le projet Dunbar - aux côtés des banques centrales d’Australie, de Singapour et de Malaisie. Ce programme pilote permettra en particulier aux banques centrales impliquées « d’échanger directement entre elles dans leurs monnaies numériques respectives, éliminant ainsi le besoin de recourir à des intermédiaires, et réduisant à la fois la durée et le coût des transactions », a précisé la Banque des règlements internationaux (BRI), chef de file du projet, dans un communiqué publié le 2 septembre.
Risques potentiels
Pourtant, l’introduction des monnaies numériques par les Banques centrales ne va pas sans risque. Dans un essai publié cette année et intitulé « The (Near) Future of Central Bank Digital Currencies », Tim MASELA, responsable du département des paiements nationaux (NPSD) de la banque centrale sud-africaine, affirme qu'une conséquence involontaire possible des MDBC pourrait être une perte de confiance dans les banques commerciales traditionnelles et, partant, le risque d’un retrait généralisée des avoirs de la clientèle en période de crise financière. Sans parler de l’autre défi majeur à relever, la sécurité des transactions face à la menace des cyberattaques, un point souligné avec force par nombre de spécialistes. Autant de menaces qui brossent un tableau plus nuancé de ce que l’on pourrait potentiellement attendre des MBDC. « Je suis d’avis que l’ère des monnaies digitales de banque centrale va générer des opportunités, mais les banques centrales doivent être conscientes des risques encourus et travailler à les atténuer », a pour sa part conclu Folashodun SHONUBI, au terme du webinaire susmentionné.
Intégration monétaire continentale à l’horizon 2063
Une chose est sûre, le mouvement est enclenché et pourrait n’être que le prélude d’un projet encore plus ambitieux, celui d’une monnaie digitale continentale, l’Union africaine s’étant engagée sur un projet d’intégration monétaire à l’échelle du continent à l’horizon 2063. Or, la création d’une monnaie virtuelle commune au continent permettrait de facto de sauter l’étape de la monnaie physique panafricaine, un projet maintes fois évoqué et toujours repoussé, notent nombre d’analystes. A bon entendeur…