Et si la technologie réinventait l’accès au tourisme ? Au vu des dernières avancées des outils numériques immersifs (réalité virtuelle, réalité augmentée), la question est tout sauf rhétorique : modélisation en 3D d’un safari en Afrique du Sud, tour virtuel de la casbah d’Alger, visite plus vraie que nature des célèbres gorilles à «dos argenté » du Rwanda… L’éventail des expériences possibles de tourisme virtuel n’a cessé de s’étoffer depuis la pandémie de Covid-19, et ce alors que les confinements, fermetures des liaisons aériennes et restrictions sanitaires ont rendu le voyage « physique » sensiblement plus difficile et contraignant.
« Les solutions de réalité virtuelle ont beaucoup profité de la crise du Covid-19 car elles sont parfaitement adaptées pour combler le vide créé par les restrictions de voyage et les confinements dans le monde entier »
Spécialisée en réalité virtuelle, la start-up rwandaise Kigali 360 fait partie de ces entreprises africaines qui ont misé précocement sur ce segment en croissance. Lancée en novembre 2018, la jeune pousse tire aujourd’hui parti de la technologie Google Street View pour créer des expériences immersives destinées notamment à « des entreprises du secteur touristique mais aussi des universités et des espaces de co-working », explique le patron, Patrick KARANGWA. L’entrepreneur tech reconnaît par ailleurs que « la pandémie a été une bénédiction » pour son entreprise, dans la mesure où les solutions virtuelles sont « parfaitement adaptées pour combler le vide créé par les restrictions de voyage et les confinements dans le monde entier ».
De fait, le rapport aux outils de simulation numérique dans la filière tourisme a considérablement évolué depuis l’apparition du coronavirus, début 2020. Ainsi, alors que le tourisme virtuel était jusqu’ici essentiellement utilisé pour promouvoir une destination avant la visite physique, il est aujourd’hui pensé comme une expérience à part entière, à l’image des safaris virtuels des parcs nationaux sud-africains proposés par le site Wild Earth, qui connaissent un franc succès.
« La filière africaine du tourisme, qui aurait perdu 55 milliards de dollars de revenus rien que dans les trois mois suivant les débuts de la crise du Covid, selon l’Union Africaine, cherche aujourd’hui à exploiter tous les leviers à sa disposition pour maintenir un niveau minimum d’activité »
Les pouvoirs publics africains participent également à cette dynamique nouvelle, à l’image de la campagne de communication kényane « The Magic Awaits » -, lancée en juin 2020 avec seize destinations touristiques promues virtuellement - ou de l’opération sud-africaine « We Are Worth Waiting For », destinée là aussi à exploiter les potentialités du tourisme virtuel dans la nation Arc-en-ciel. L’enjeu, il est vrai, est de taille : la filière africaine du tourisme, qui aurait perdu 55 milliards de dollars de revenus rien que dans les trois mois suivant les débuts de la crise du Covid, selon l’Union Africaine, cherche aujourd’hui à exploiter tous les leviers à sa disposition pour maintenir un niveau minimum d’activité.
« L’e-voyage, un nouveau format d'expériences, en ligne, en direct et complètement immersif, à mi-chemin entre le reportage vivant et le voyage scénarisé »
Pour Anouar HACHEMANE et Marion BLATRIX, les deux acolytes à l’origine de Maghreb expérience, il ne s’agit pas d’offrir une alternative au tourisme traditionnel en crise mais de proposer une autre expérience de découverte d’un site, à travers sa population, sa culture, ses artisans. Le tout, virtuellement. « L’e-voyage, c'est un nouveau format d'expériences, en ligne, en direct et complètement immersif, à mi-chemin entre le reportage vivant et le voyage scénarisé », explique Anouar HACHEMANE. Nous proposons des itinéraires, par exemple pour découvrir la Casbah d’Alger, nous vous emmenons avec nous, rencontrer des artistes, écouter des musiciens, apprendre à préparer un thé à la menthe… Partager une expérience interactive avec ceux qui font vivre cet espace. »
Avant cela, Anouar et Marion avaient mis en place Visit Maghreb, la première agence de développement touristique auprès des agences de voyage en Inde et en Asie du sud. « Maghreb expérience donne le chance aux touristes de découvrir la région Maghreb à travers les yeux de ce qu’on appelle les Maghreb makers, les hommes et les femmes qui, font vivre le Maghreb aujourd’hui. » Et ce que fait la plateforme fait vivre également, car pendant la pandémie, elle a permis à des artisans locaux de vivre de leurs activités alors que l’activité touristique étaient au point mort. « Maghreb Expérience veut révolutionner les codes du voyage au Maghreb et changer le narratif sur la région, en mettant en lumière la richesse et la diversités des cultures maghrébine. »
Focalisée sur les trois pays du Maghreb, Maroc, Algérie et Tunisie, pour l’heure, la plateforme envisage de diversifier ses activités ainsi que sa cible. « Nous allons proposer à des acteurs du secteur, des hôtels par exemple, de travailler sur leur branding, à travers des expériences virtuelles ».
« Les visites virtuelles sont l’outil qui permettra d'attirer plus de visiteurs, de susciter l'intérêt et d'instaurer la confiance avec les clients pour ceux qui peuvent voyager »
À Kigali aussi, Patrick KARANGWA croit dur comme fer au potentiel de ces environnements immersifs. Pour notre interlocuteur, c’est une évidence, « les visites virtuelles sont l’outil qui permettra d'attirer plus de visiteurs, de susciter l'intérêt et d'instaurer la confiance avec les clients pour ceux qui peuvent voyager ». Sans parler du coût, puisque cette formule devrait rester « une alternative abordable pour ceux qui ne peuvent pas se permettre de voyager ou pour ceux qui souhaitent apprendre et explorer le monde », conclut le chef d’entreprise rwandais.
Reste à définir un modèle économique qui fasse sens pour tous, le tourisme virtuel cherchant toujours sa voie entre la nécessité de dépenser de l’argent pour promouvoir une destination donnée, et le besoin de se faire rémunérer pour un service innovant.