Invité mi-juin à participer au Festival international du film d'animation d'Annecy, Ayodele ELEGBA est arrivé dans la ville de Haute-Savoie (France) avec des images plein les poches. Et pour cause : le patron du studio d’animation nigérian Spoof, affectueusement surnommé le "marchand de rêve" par ses compatriotes, venait pour présenter ses différentes productions, notamment la web-série Area Daddy ; nouveau jalon d’un parcours singulier.
« Je suis un animateur autodidacte », confie d’emblée le dirigeant de Spoof, qui rappelle qu’il a commencé « en tant qu'illustrateur et dessinateur de BD, avant de s’aventurer dans le storytelling et l'animation ». Sa structure, lancée il y a cinq ans, est aujourd’hui un studio d'animation reconnu, qui « aide les studios, les indépendants et les cinéastes à concrétiser leurs rêves » dans un secteur - tant au Nigeria que sur le reste du continent africain - en pleine évolution.
Décrocher de bons contrats, une production originale Netflix, un contrat Hulu ou Amazon, tout est possible !
Parmi les tendances notables en cours, la montée en puissance des coproductions avec d’autres studios est évidente. Une approche qui permet de mutualiser les coûts mais aussi et surtout, de renforcer la visibilité des œuvres produites. Un point crucial pour Ayodele ELEGBA comme pour les autres participants africains, qui peinent souvent à s’exporter par manque de moyens et de partenariats. De fait, c’est là que réside le principal atout du Festival international du film d’animation d’Annecy : avec son Marché International du Film d’Animation (MIFA), le festival est la référence mondiale du cinéma d'animation pour les professionnels en quête de clients et de financements. « Nous cherchons un moyen de promouvoir la marque Spoof, auprès d'un public plus large, de clients internationaux et pourquoi pas de décrocher de bons contrats, qu'il s'agisse d'une production originale Netflix, d'un contrat Hulu ou d'un contrat Amazon. Tout est possible ! », s’enthousiasme l’artiste-entrepreneur nigérian.
Et effectivement, les occasions pour nouer des contacts utiles n’ont pas manqué au cours de cette 60ème édition du Festival. Tenue du 14 au 19 juin, au bord du lac d’Annecy, la manifestation culturelle - qui était placée sous le marrainage de l’écrivaine et réalisatrice ivoirienne Marguerite ABOUET - a ainsi mis à l’honneur l’Afrique cette année, plusieurs professionnels du continent étant par ailleurs membres du jury.
Une sélection qui témoigne de la diversité de la production africaine
Parmi les sélections africaines remarquées, on citera notamment Carte blanche à l’animation du Maghreb, proposée par Mohamed BEYOUD (fondateur du festival d’animation de Meknès) ; Lady Buckit & the Motley Mopsters, un long métrage nigérian d'Adebisi ADETAYO, ou encore Aujourd’hui, l’animation africaine, une série de 11 programmes contemporains venus d’Afrique du Sud, d’Éthiopie, du Ghana et du Congo.
Un coup de projecteur qui, outre l’essor généralisé de l’animation ‘made in Africa’, confirme la professionnalisation accrue des acteurs locaux, portés à la fois par une demande croissante des consommateurs africains, et une volonté de développer une production plus centrée sur les valeurs culturelles propres au continent.
Une animation « made in Africa » qui s'affirme
Pour illustrer cette évolution, Véronique ENCRENAZ, la responsable du MIFA, donne l’exemple de Triggerfish, un studio sud-africain qui « au départ collait un peu au modèle américain, avant de s’autonomiser peu à peu avec des talents formés localement ». Certains de ces talents ont depuis essaimé ailleurs, et permis en particulier la création d’écoles spécialisées telles que 3D Net à Tunis, un centre de formation pionnier qui forme depuis plus de vingt ans les jeunes africains aux métiers de l’animation, entre autres. « Ces professionnels africains de l’animation veulent aujourd’hui raconter leur propre histoire et ne plus travailler sur des narratifs qui viennent d’Europe ou d’ailleurs », souligne la dirigeante du MIFA, qui relève que « ce changement s’observe aussi dans l’univers de la BD ». Arnaud MIQUEL, le responsable des rencontres et des publics du Festival, constate quant à lui « l’essor de l’afro-futurisme, une tendance porteuse qui renvoie notamment au succès planétaire du blockbuster Black Panthers et à son côté très science-fiction ; un peu poussée parfois […] ».
Autant d’évolutions récentes du cinéma d’animation africaine que les observateurs avertis du secteur ont pu constater de visu dans le cadre de la sélection du festival, ou lors des « pitchs » du MIFA ; ces moments-clés où un partenariat ou financement peut propulser une production sur le devant de la scène. « Beaucoup d'animateurs au Nigeria et en Afrique font de très bonnes choses, mais n'ont jamais vraiment eu l'occasion d'être au cœur de l’évènement pour que les gens les rencontrent et découvrent leur travail », rappelle Ayodele ELEGBA. En conséquence, être présent à Annecy « […] attirera davantage l'attention sur l'industrie de l'animation en Afrique et améliorera la situation économique de la plupart des studios africains, en termes de financement, de parrainage, de partenariat, de coproductions…», veut croire le « marchand de rêve » nigérian.
De fait, le rêve s’est d’ores et déjà mué en un début de réalité, la montée en puissance de l’animation africaine suscitant l’intérêt grandissant des géants mondiaux du divertissement, à l’image de Netflix - qui a acquis sa première animation africaine, Mama K's Team 4, l’année dernière -, et du récent partenariat entre le studio ougando-nigérian Kugali et le géant américain Disney pour produire la future série animée de science-fiction Iwaju. Une parfaite illustration, dans ce dernier cas, d’une « Afrique qui s'unit et se rassemble pour travailler en équipes afin d'avoir ces méga-studio en mesure de réaliser des films à succès », se félicite Ayodele ELEGBA.
Reste à définitivement transformer l’essai. Fin connaisseur du milieu, Arnaud MIQUEL estime pour sa part que la réussite du cinéma d’animation africain passera par « plus de coopération, notamment à l’intérieur du continent, afin que les talents, les œuvres circulent mais aussi, pour que le savoir-faire en termes de financement, soit plus largement partagé ».