Si les plateformes comme Glovo ont permis à certains producteurs locaux, en premier lieux les supermarchés, de maintenir leur activité malgré les restrictions, la fermeture des restaurants ou le maintien des couvre-feux par exemple n’a pas permis de développer la livraison de repas à domicile et d’offrir une réelle alternative aux restaurateurs.
Par conséquent, une question se pose, à savoir si ces plateformes participent à la promotion du made in Africa, ou, à l’inverse, en proposant majoritairement des produits importés, leur apportent-t-elles une nouvelle concurrence ? À ce titre Priscilla MUHIU, Directrice générale Glovo Kenya est catégorique, Glovo travaille avec des producteurs locaux. Preuves à l’appui. « Au Kenya par exemple, nous avons intégré des restaurants locaux, plutôt que des grandes chaînes comme KFC, Burger King, Pizza Hut, etc. Des commerces locaux également. Vous allez sur l'application, vous verrez la catégorie Kibanda Xpress, ce qui signifie en langue locale petit magasin où nous regroupons tous ces petits producteurs. Nous les soutenons dans leur vente, en menant des campagnes de promotion et en les aidant à promouvoir leurs produits. À travers Kibanda Xpress, nous leur avons donné une identité de marque forte. Nous faisons de même avec MamaBoga Express. Il s'agit de petites vendeuses de légumes. Nous les avons également regroupées. Ainsi, en tant que client, si vous passez une commande dans MamaBoga Xpress, vous serez mis en relation avec le commerçant le plus proche de chez vous. Nous travaillons même avec des artisans, avec Maasai Market sur l'application. Vous pouvez commander des objets et des bijoux fabriqués par des commerçants locaux. »
Promotion du "Made in Africa" ou concurrence déloyale ?
L’expérience Jumia qui peine, malgré des débuts fulgurants, à atteindre la rentabilité de son modèle, démontre que c’est bien en termes de promotion du "Made in Africa" que se joue l’avenir de ces plateformes. Pour se pérenniser, et se démarquer alors que le secteur devient très concurrentiel, ces plateformes devront intégrer les producteurs locaux et apporter des alternatives aux problèmes logistiques qu’ils rencontrent, leur permettant d’accéder non seulement au marché local mais également d’atteindre de nouveaux marchés, régionaux et internationaux. Gounou MOUTAWAKILOU, fondateur de la jeune mais néanmoins ambitieuse marque de pâte à tartiner et autres produits annexes 100% made in Benin, n’en attend pas moins.
« Effectivement, on a vu une certaine évolution de la logique du marché, et pas seulement du fait de la crise sanitaire, observe Gounou MOUTAWAKILOU, fondateur de Gounou. Chez Gounou, nous l’avions anticipé depuis 2017. L’environnement est en train d’évoluer, en raison de facteurs professionnels, sociologiques… Avant, la logique du marché était que le consommateur se déplace pour aller voir l’offre et ensuite l’achète. Depuis un moment, cela commence à changer. Le consommateur affiche de nouveaux besoins et veut désormais recevoir son produit plutôt que de se déplacer pour l’acquérir. La crise sanitaire a généralisé cette tendance. Donc, pour des acteurs tels que nous, il y a soit la possibilité de travailler avec ces plateformes soit de développer un service de livraison en interne. »
« Il est plus facile, et moins coûteux de livrer des pays de l’UE les USA ou l’Asie que des pays africains »
Le jeune entrepreneur a dans un premier temps choisi la première option. Une expérience décevante. « Certains sont venus nous voir, on a accepté de tester avec l’un de ces plateformes dont l’offre nous semblait la plus pertinente, mais leur service n’était pas à la hauteur des promesses. Par exemple, ils ont une plateforme sur laquelle les consommateurs peuvent commander en ligne, avec une garantie de livraison en deux heures maximum. Or, très vite, nos clients se sont plaints des délais de livraison et du coût, annoncé à 500 FCFA maximum mais finalement pouvant atteindre 2000 FCFA. Et, quand le client se plaint du service, c’est auprès de nous et, au final, c’est notre marque qui est lésée. Malgré plusieurs relances pour corriger les défaillances, la structure n’a pas donné suite, on a donc arrêté l’idée de se faire livrer. On continue de distribuer nos produits avec des partenaires, des supermarchés notamment, en attendant de trouver de meilleures alternatives ou si on estime que le besoin est important et rentable, on développera une solution en interne. »
En attendant, souligne l’entrepreneur, il lui est plus facile de livrer ses produits hors du continent. « C’est en effet un paradoxe. En travaillant avec une société de transport internationale qui commence à faire de la livraison "door to door" et nous permet de desservir certains marchés à l’international, il est plus facile, et moins coûteux de livrer des pays de l’UE ou des USA et de l’Asie que des pays africains. » Le marché local et régional, reste ainsi le défi. Et, à en croire l’entrepreneur, les plateformes de livraison qui existent ne répondent pas encore aux attentes des producteurs locaux à ce niveau.
« Ces plateformes préfèrent importer du "Made in China" et les distribuer localement plutôt que de travailler avec des producteurs locaux »
« Le problème de ces structures, c’est qu’elles n’ont aucune vision par rapport au fait de travailler avec des acteurs africains. Quand on échange avec elles, on se rend compte qu’il y a un problème, personnellement incompréhensible, car ces structures préfèrent importer du made in China et les distribuer localement plutôt que de travailler avec des producteurs comme nous. Le problème ne vient pas seulement d’eux. Globalement les acteurs sur le terrain manquent de professionnalisme et de structure réelle pour la gestion locale même si certains font d’énormes efforts pour être aux standards et avoir des services qualificatifs ».
Aussi, c’est avec beaucoup d’intérêt que ce dernier a vu l’entrée en vigueur de la Zone continentale de libre-échange, ZLECAf. « Même si je reste dubitatif par rapport à l’exécution des accords. Par exemple, dans l’espace UEMOA, qui reste le meilleur espace en termes d’intégration, si les personnes circulent normalement, ce n’est pas encore le cas des marchandises. Quand on traverse Cotonou-Lomé, soit moins de 80 km, on doit payer au minimum 300 FCFA de taxes à l’unité. C’est plus de 50% du prix du coût de production ! Si nos dirigeants s’assurent de l’application des accords de libre-échange, cela va réellement faciliter les échanges intra-Afrique. » Et attirer plus d’investissements dans les plateformes de livraison, autrement dit plus de services et de perspectives de marché pour les producteurs locaux…