Comment avez-vous analysé l'annonce du rachat par Stripe de Paystack ?
Je me suis dit : « Ça commence ! » Parce que, finalement, aujourd'hui l'ensemble de la communauté qui interagit sur l'écosystème en Afrique se dit qu'il y a un gros potentiel : le marché est large, le niveau de la tech est très intéressant, on a des entrepreneurs de qualité. Les acteurs qui travaillent déjà dans cet écosystème, veulent voir ce marché décoller. Par conséquent, avoir une validation comme celle-ci, faite par des acteurs reconnus comme étant des spécialistes et performants dans ce domaine, est nécessaire. Cela démontre qu'une start-up peut se développer localement, évoluer au sein de l'écosystème, portée par des acteurs 100% locaux, et grandir, accroître son marché, inclure des éléments technologiques de haut niveau pour devenir à un moment la cible d'investisseurs européens et américains.
Si cela se produit une fois, il y en aura d'autres. Car cela confirme que, désormais, l'Afrique est en capacité de produire ces géants, par le biais de ses jeunes, et que les investisseurs internationaux considèrent que l'Afrique est un marché réel où ils peuvent se développer en misant sur le dynamisme de ces entrepreneurs.
Pour moi c'est le début d'un processus. D'autres vont vouloir essayer. Il y aura d'autres acquisitions.
Qu'est-ce que cela nous dit sur le secteur de la FinTech en particulier, plus que jamais attractif si l'on observe les levées de fonds qui se multiplient et sur l'écosystème tech panafricain ? Il a atteint un certain degré de maturité ?
Je ne dirais pas qu'il a atteint un degré de maturité mais cela montre qu'il y a une validation, par l'environnement de la FinTech mondiale, de cette capacité de l'environnement africain à intégrer la technologie. Parce que dans l'écosystème africain, si les populations n'intègrent pas la technologie, vous pouvez avoir une grosse entreprise, la meilleure technologie, ça ne marchera pas. Or là, c'est une validation de la capacité d'intégration par l'écosystème africain de la technologie.
Ensuite, cela confirme également la capacité d'exécution par les équipes locales de l'implantation technologique, ce qui est une très bonne chose.
Troisième point, il est clair qu'ils ont attaqué le Nigéria parce que c'est un gros marché mais quand ils évoquent leurs ambitions par rapport à Paystack, ils parlent de développer la start-up au niveau du continent. Donc, certes, ils intègrent le Nigéria, mais ils s'intéressent à l'ensemble du continent perçu comme un marché potentiel.
Un autre aspect que je trouve très intéressant et auquel on n'a pas prêté beaucoup d'attention, c'est qu'ils sont allés au-delà des risques de la monnaie. Au Nigéria, on a le naira, une monnaie locale, il y a donc un risque supposé. Mais ils ont tout de même fait un investissement sur une entreprise qui fonctionne sur une monnaie locale en pariant sur l'avenir. Ils croient donc au renforcement des monnaies africaines. Ce qui est très intéressant.
Un dernier élément sur ce que cela dit sur les investisseurs internationaux : il y a un changement important dans la perception du risque de l'investissement en Afrique. L'opération de Paystack, bien évidemment c'est quelque chose qui a été pensé, étudié, ils étaient déjà investisseurs, ils ont donc eu le temps de l'analyser [NDLR : Stripe avait déjà investi dans Paystack en 2018], d'intégrer certains de leurs processus, etc. Et de voir qu'il était possible de travailler avec l'équipe locale et de développer le marché. C'est parce qu’ils ont fait ce travail, qu'ils ont réussi à réduire le risque perçu sur l'investissement en Afrique et de ne considérer que le risque réel, à la vérité plus faible. Avec une prise de décision sur une base réelle avec des données de marché claires et étayées.
C'est pourquoi quand je regarde les investissements en Afrique, j'essaie toujours de me dire : si la société était basée en Europe, quel serait le niveau ? Les opportunités sont là, les investisseurs ont compris cela.
Finalement, la meilleure opportunité d'investissement, ce que les gens vont et sont en train de réaliser, c'est d’investir dans un environnement où le risque perçu est très haut mais le risque réel beaucoup plus bas, parce que c'est là que l'on fait les meilleures affaires. En entrant à l'intérieur de la société, ils se sont très vite rendu compte de ce décalage. Certes, c'est un investissement de 250 millions mais si Paystack avait été une société en Europe, le risque perçu aurait été moindre, et l'enveloppe aurait été différente. C'est pourquoi quand je regarde les investissements en Afrique, j'essaie toujours de me dire : si la société était basée en Europe, quel serait le niveau ? Les opportunités sont là, les investisseurs ont compris cela.
C'est pourquoi, une des problématiques qui me tient à cœur et sur laquelle j'ai décidé de travailler, est celle du risque perçu de l'investissement en Afrique. Parce que les gens qui travaillent dans le secteur, voient ces opportunités, contrairement aux autres. Ce qui signifie qu'il y a un problème majeur quant à la capacité des acteurs à l'extérieur de pouvoir évaluer et donner de la crédibilité aux informations qui viennent d'Afrique et de faire comme Stripe : on analyse les données et on décide d'investir. C'est pourquoi GreenTec va mettre en place des outils pour démystifier le risque. Si on démystifie le risque, on aura plus de Stripe.
Finalement, est-ce que c'est ce qu'attend l'écosystème tech panafricain : plus de rachats par des grands groupes internationaux ?
La réalité est la suivante : en Afrique on n'a pas assez de volume d'investissement pour le nombre d'entreprises qui existent, qui rencontrent le succès. Aujourd'hui, on sait qu'il manque chaque année plus de 300 milliards de dollars de financement pour les PME en Afrique, start-ups comprises. Comme ces liquidités ne sont pas en Afrique, le seul moyen de les lever, c'est d’aller à l'extérieur. La question n'est donc pas de se dire s'il est normal que les acteurs internationaux viennent racheter les start-ups, mais plutôt de se dire : il y a un besoin, il faut mettre en place une dynamique où les investisseurs peuvent venir de l'étranger pour soutenir la croissance des entreprises africaines, impossible à soutenir de l'intérieur.
Je vois cela comme une opportunité, et il est clair qu'il y aura un ajustement, quant à la transparence, la qualité et la structure de l'information et les processus de collaboration. Dès que ce mouvement sera initié on trouvera une solution. Aujourd'hui, tout le monde encense Paystack parce que c'est le premier. Si on se projette dans dix, vingt ans, quand il y aura eu une cinquantaine d'autres rachats de ce type, le centième ne suscitera pas autant d'intérêt.
Mais c'est un signal. Ceux qui ne regardent pas l'Afrique, attention ça commence ! Et si on regarde dans le passé, il y a toujours quelques irréductibles qui décident d'investir, au bout d'un moment, un gros qui regarde, comme cela a été le cas avec Facebook qui a investi dans une start-up kényane qui opère dans l'éducation [NDLR : BRCK] qui s'est dit : on va glisser un petit billet pour faire un test. C'est un premier signe. On a ensuite vu des incubateurs américains qui se sont dit : on va commencer à transporter des acteurs américains et les présenter, ensuite, on passe à une autre étape, on va les acheter. C'est un processus qui s'est engagé, un processus du développement du marché par le secteur privé. Ce n'est pas la première fois que cela se passe. C'est cela qu'il faut voir dans ce rachat. яндекс
Finalement c'est une évolution normale qui s'inscrit dans le cadre du processus que vous évoquez… Quel intérêt pour l'écosystème panafricain ?
C'est avant tout un message important. Quand vous êtes un investisseur étranger, la première question que vous vous posez est : comment je vais sortir mon argent ? Là, quand on voit que les géants peuvent acheter, cela rassure. La question maintenant c'est qui sont les gagnants. Ce sont les premiers rachats, il y en aura d'autres. Quels sont ceux qui sont en capacité de soutenir les gagnants, c'est ce qui va faire que les gens vont investir dans les start-ups plus matures, ensuite par appât du gain, ils vont prendre un peu plus de risques, parce qu'ils vont comprendre quel est le parcours gagnant et cela va créer un cercle vertueux qui va remonter le niveau de l'écosystème et la qualité des entreprises.
À la prochaine étape de ce processus, verra-t-on des investisseurs africains investir dans des start-ups africaines ?
Les personnes qui ont les capitaux en Afrique sont de la vieille génération. Quand on regarde les fonds qui se mettent en place, les personnes qui investissent, ce sont souvent des jeunes entrepreneurs, qui ont réussi au travers de la digitalisation et qui réinvestissent parce qu'ils comprennent le processus de valeur. Le problème n'est donc pas que les Africains ne veulent pas investir, mais que la vieille génération ne comprend pas ce processus et donc ne mise pas dessus. Mais il y un processus générationnel qui se met en place très naturellement, où les jeunes qui comprennent ce langage vont arriver, et, en parallèle de cette tendance, la perception du risque en Afrique va diminuer.
Aussi, pour moi le moment où il y aura un boom, sera quand la perception du risque aura diminué et qu'on assistera à un croisement avec l'arrivée de la génération qui investit et les investisseurs de l'extérieur. À ce moment-là nous verrons un apport massif d'investissements vers le continent et qui naturellement devrait correspondre à un stade de maturité de l'écosystème pour intégrer l'information et les capitaux.
Cette convergence vous la voyez arriver à court ou moyen terme ?
Je ne vais pas dire quand mais comment je vais faire pour contribuer au fait qu'elle arrive plus vite. Du fait de la position de GreenTec, mes efforts vont se diriger vers les flux qui viennent de l'extérieur afin de réduire le risque perçu et d'accélérer le processus d'arrivée des flux de l'extérieur vers l'Afrique. On devrait bientôt sortir une solution dans ce sens, d'ici trois mois, qui accompagnera ce premier processus. Pour le reste, d'autres acteurs le font mieux que nous. La question n'est donc pas quand, on ne peut le contrôler. Aujourd'hui, on le voit bien avec la pandémie mondiale, il y a des facteurs qui changent la donne.
Justement, une pandémie qui finalement a eu un effet positif sur l'écosystème tech panafricain…
En effet, la pandémie aura été très positive pour l'Afrique. La pandémie étant globale, l'Afrique ayant l'expérience dans la gestion des pandémies, on a vu le risque changer de côté. Alors que dans l'échelle des risques, l'Afrique était tout en haut, aujourd'hui le risque, on le voit en Europe, moins en Afrique. Tous ces éléments font, je pense, que nous sommes dans un moment clé où les cartes sont redistribuées, la visibilité du potentiel de croissance, du potentiel d'impact de l'investissement en Afrique, et bien évidemment la carte digitale qui crée un levier dans l'impact qui n'est pas le même qu'en Europe ou en Amérique. En Afrique, il est énorme. C'est pourquoi je pense que cela va arriver. Je ne peux pas dire quand, mais en tant qu'acteur de cet écosystème, je veux m'assurer que cela arrive le plus vite possible.